13 octobre 2023 Par esdras

L' »artivisme », un art sans limite ?

L’affaire Piotr Pavlenski, à la croisée de l’art et de l' »artivisme? On en parle avec Paul Ardenne, critique et historien d’art.

Nous le recevions l’an dernier pour Un art écologique : Création plasticienne et anthropocène (Le Bord de l’eau, octobre 2018,  Édition augmentée, 2019). Paul Ardenne, historien et critique d’art spécialisé dans le domaine de l’art contemporain, de l’esthétique et de l’architecture, est de retour aujourd’hui pour nous parler de l’affaire Pavlenski et de sa valeur d’art réellement « artiviste » dans un système qui se revendique comme démocratique. 

Paul Ardenne s’est intéressé de près à la performance en art : membre du comité de rédaction de la revue INTER, consacrée à cette thématique, il s’est notamment penché sur le cas des performances extrêmes avec son ouvrage Extrême. Esthétiques de la limite dépassée (2006, Flammarion).

Publicité

En outre, après Éclairage, une performance pour laquelle Piotr Pavlenski, en octobre 2017, mettait le feu à la façade d’une succursale de la Banque de France dans le quartier de Bastille à Paris, Paul Ardenne a fait partie d’un comité de soutien à cet artiste, comité dont la vocation, précise-t-il, n’était pas de justifier sa performance – ceci étant la tâche de l’artiste – mais de mettre l’accent sur ses conditions de détention, et sur la détention même. 

Il n’y a pas de vérité en art.        
(Paul Ardenne)

Piotr Pavlenski, auteur, déjà, de nombreuses performances subversives (en 2012, il se cousait les lèvres dans l’ancienne cité tsariste en soutien à l’arrestation des Pussy Riot ; en novembre 2013, il se clouait la peau des testicules sur les pavés de la place Rouge afin de critiquer la « passivité, l’indifférence politique et le fatalisme de la société russe »…) a fait parler de lui suite à la publication sur Internet de vidéos intimes de Benjamin Griveaux, ancien candidat à la mairie de Paris. 

Avec sa compagne, Alexandra de Taddeo, le performeur russe a été mis en examen, mardi 18 février, pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » et « diffusion sans l’accord de la personne d’un enregistrement portant sur des paroles ou images à caractère sexuel et obtenues avec son consentement« .

Si l’artiste Piotr Pavlenski décide que cette action relève de l’art, qu’elle s’inscrit dans sa démarche d’artiste, je ne peux que m’inscrire dans son sens quoique j’en pense par ailleurs. C’est l’artiste qui définit ce qu’est une oeuvre d’art.        
(Paul Ardenne)

L’occasion de questionner la valeur de performance dans l’action de Piotr Pawlenski et de revenir sur le concept même d’ « artivisme« , à manier avec précaution. En effet, ce vocable appose une étiquette à des actions artistiques qui renouent avec des pratiques contestataires, et dont l’essence même serait le refus d’être institutionnalisées. 

Il ne faut pas confondre un art de la performance avec un art de la dénonciation.
(Paul Ardenne)

A l’heure où la performance elle-même, supposée éphémère et insaisissable, est entrée dans les musées, qu’est-ce que l’ »artivisme » aujourd’hui et dans quel champ peut-il être le plus radical ? L’acte de Piotr Pavlenski en fait-il partie ? 

Les médias ne s’intéressent à l’art contemporain que lorsqu’il prend des formes aussi choquantes. Dès que Banksy fait n’importe quoi, le monde entier est en émoi alors que la qualité de l’oeuvre est mineure dans l’histoire de l’art. L’amplification qui accompagne la réalisation de Pavlenski n’est pas à la mesure de ce qu’est l’oeuvre.        
(Paul Ardenne)

L’art contemporain est très vaste et ouvert. Ce qui s’est créé dans les années 1970 était un art utile, avec des artistes qui considéraient que leur oeuvre d’art devaient avoir une fonction utile : utile dans l’objet de la contestation ou en tant qu’objet, par exemple.        
(Paul Ardenne)